Lors d'un passage à ma bibliothèque-discothèque de quartier et d'une razzia d'une dizaine de disques musicaux, j'empruntais aussi, par hasard, l'intégrale de l'Anthologie radiophonique, 1976-1977 : Lorsque l'enfant paraît vol. 1 et 2, réalisée à partir de l'émission Le Temps de vivre présentée et animée par Jacques Pradel sur France Inter et dans laquelle Françoise Dolto répond aux lettres d’auditeurs.
Sur une totalité de 100 émissions - 1000 questions / réponses conservées à l'INA, soit 375 heures d'enregistrement, les réponses apportées par Françoise Dolto aux problèmes de l'enfance ont été choisies en fonction de leur pertinence et du traitement du sujet.
Vol 1 : La naissance, la famille, la jalousie, la propreté, l'école ;
Vol 2 : Sexualité, le manger, le dormir, le parler, séparations ;
Vol 3 : Ordre, désordre, adoption, jeux, agressivité.

Dolto : Anthologie radiophonique France Inter 1976-1977 vol. 1-3
Grande première et grand succès pour l'époque : confier à une psychanalyste renommée le soin de parler de l'éducation des enfants, avec simplicité, aux parents/auditeurs.

Finalement, c'est l'occasion de creuser un peu car si je connais de nom cette figure emblématique de la pédiatrie et la psychanalyse de l'enfant, je n'en connais pas réellement l’œuvre, le contenu, ses propos, ses théories, ses innovations... Bon, évidemment, c'est juste une première approche car je n'ai pas l'intention, par ce biais, d'explorer les fondements théoriques de sa pensée !

Dolto : portrait et en famille
Anthologie radiophonique © 2004 Frémeaux & associés.

Un mardi soir, alors que je me rends à l'entraînement polo en voiture, je commence l'écoute de cette anthologie. Je pars donc de « zéro » en quelques sortes et, à la première écoute, je reste « open ». Mais assez rapidement, sans « tiquer », je « relève » tout au moins quelques éléments qui m’interpellent... Comment dire simplement ? Je ne sais pas quelle est la part induite par l'époque, nous sommes en 1976-1977 et dans ses propos - un peu datés -, la femme est la mère, la « manman », à la maison, au foyer, celle qui assure le quotidien, celle qui va préparer la petite valise de son mari lorsque celui-ci est de métier itinérant... et puis le mari, c'est lui qui intercède, celui qu'on appelle pour « normaliser » la situation... Elle serait sur le terrain et lui régulerait... Une impression « vieille France » dans ses propos qui me gênent mais que je ne relève pas pour autant sur le moment.

Michel Onfray & Françoise Dolto @ France Info Là-dessus (et ne sachant pas que j'ai emprunté l'Anthologie Dolto audio !), ma reum m'envoie un lien pour écouter un entretien de Michel Onfray sur France infos à l'occasion de la publication Le magnétisme des solstices chez Flammarion et de sa signature, justement, de la préface du livre de Didier Pleux : François Dolto, la déraison pure, chez Autrement.

Dans cette préface, il s'attaque à la célèbre pédo-psychanalyste Françoise Dolto et en parle comme d'une femme toxique qui décrédite parents, éducateurs et enseignants et affirme qu'elle fut également vichyste.

"Il suffit de l'écouter pour se rendre compte que, pendant des années, elle a servi une soupe sur les ondes qui a été terrible. Une pensée totalement magique parce que c'était la psychanalyse, que c'était une femme et la radio. Elle a fait beaucoup de mal et il suffit de regarder ce que sont aujourd'hui les relations parents-enfants."

Boudiou, un peu comme un déclic, je me sens alors dédouanée et déculpabilisée d'avoir osé ressentir une émergence de critique vis-à-vis du mythe... ! M'enfin, là-aussi, c'est une autre figure, une autre personnalité qui m'en donne le "droit"... mais bon, bref. C'est alors que j'aboutis à une réflexion plus personnelle : quelle est ma part d'auto-critique vis-à-vis d'une personne qui sait, d'une personne de référence, d'une personne qui fait autorité ? Je m'interroge beaucoup sur ma propre éducation, personnelle et familiale mais aussi institutionnelle et caractéristique d'un système d’éducation nationale qui ne pousse pas à développer l'esprit critique de ses sbires mais plutôt à en faire de précieux petits soldats bachoteurs, cette éducation donc qui m'encourage à « respecter » l'ordre établi, la connaissance, le maître, l'adulte... l'autorité, le pouvoir en somme ! Entre respecter et se soumettre, la frontière est mouvante et poreuse... Pour en revenir à Dolto, je m'aperçois donc que j'ai le réflexe quasi « inné » - pour caricaturer un peu - de prendre pour argent comptant ce que dit cette grande Dame.

F. Dolto @ Psychologies.com

Alors, elle-même s'en défend et, justement, dans cette émission, elle aime « s'adresser à des gens qui n'iraient pas voir des spécialistes parce qu'ils s'expriment trop mal. Ce sont toujours les gens les plus intéressants, ceux qui n'ont pas été déformés par l'école. Ils pensent par eux-même. C'est pour cela que les intellectuels ne l'intéressent pas comme public ».
Elle prend le parti « d'utiliser cet instrument radiophonique (qui comme la télé laisse de plus en plus entrer dans les maisons la voix de tout le monde qui n'a rien à voir avec la vie de la famille et qui se met à avoir plus d'importance) pour dire aux parents qui attendent tout de ces voix de gens qui qui soi-disant " savent " puisqu'ils parlent sur les ondes, qu'au contraire, ce sont eux qui savent, sur leur enfant et sur eux et c'est entre eux qu'il faut qu'il y ait des relations de paroles et exprimer ce qu'ils ressentent ». C'est ce qu'elle appelle « le bon sens, retrouver l'intuition parentale où chaque enfant est différent parce que chaque famille est différente et que chaque couple crée un climat différent ».

Lors de ma deuxième écoute, il m'est du coup un peu plus facile de remettre tout ça dans le contexte, celui de ma propre naissance (la claque !), une époque où ce type d'émission était une grande première et où France Inter « prenait le risque de confier à une psychanalyste renommée le soin de parler de l'éducation des enfants » ! D'ailleurs, « dans l'opinion agitée sur la question de la pertinence de ce programme inhabituel dans la forme et le ton, semble-t-il pour l'époque, il est intéressant de constater que beaucoup de psychanalystes étaient eux-mêmes choqués considérant la discipline ainsi dévoyée, désacralisée en quelque sorte ». D'autre part, il me semble plus évident qu'il faut être indulgent vis-à-vis des « raccourcis » éventuels voire certains parfois dont elle use, mais qui sont sans doute dûs au format de diffusion à l'antenne et au public destinataire ; n'oublions pas, en effet, qu'il s'agit de vulgarisation. Et puis enfin, en dehors de l'intérêt des questions/réponses, il faut aussi et surtout écouter cela comme un document témoignant de la société et de l'état de la famille à cette époque.

Dolto, Pradel et Catherine à l'antenne de France Inter Anthologie radiophonique © 2004 Frémeaux & associés.

Alors ce qui est assez drôle, c'est que lorsqu'une fois à Sunset, je raconte à ma reum que j'ai écouté Dolto tout au long du trajet, elle se « braque » et m'explique qu'elle ne veut pas/plus l'entendre, très peu pour elle, elle en a soupé et selon elle, cela a encouragé le concept de « l'enfant roi » qu'elle réprouve plus que tout.

Oui, c'est vrai, si les uns l'accusent d'avoir engendré le phénomène de « l'enfant roi », les autres la remercient d'avoir mis fin au « dressage » des petits. Il n'en reste pas moins que son idée selon laquelle l’enfant n’est pas la propriété des parents, a été révolutionnaire. Françoise Dolto a voulu mettre fin à l'idée selon laquelle le bébé n'était qu'« un tube digestif » (comment ne pas penser à Amélie Nothomb ?), sans conscience, ni inconscient. Pour elle, c’est « un sujet à part entière », comme l'adulte. Ainsi, l'enfant est « un être en construction, mais qui ne peut pas se développer correctement sans l'éducation des adultes - donc sans leur autorité ». Dans ce sens, elle invite les parents à ne pas faire de l’enfant l’être central de la famille, ce qui va à l'encontre de « l'enfant-roi ».

Alors oui, j'ai bien conscience qu'il existe plusieurs registres d'enseignement, d'infos, de discours et enfin, d'appropriation de tout ça... Je comprends que je ne suis pas psy, ma mère non plus...et que rien que ça, il nous manque tout un tas de connaissances, d'arguments, pour appréhender les propos de Dolto, qui se veulent malgré tout, a priori, accessibles à tous, mais dont il subsiste forcément des raccourcis qu'il nous faut assumer. Oui, je pense que les éléments sur lesquels j'ai tiqués par ex., n’existent que parce que je n'ai pas une connaissance plus approfondie du sujet et, surtout, que le format de l'émission ne s'y prête guère. Rappelons-le, il s'agit d'une émission radio libre et très accessible et populaire vis-à-vis surtout de la « femme-mère-ménagère », représentative du public d’auditeurs de l'époque !

Ainsi, « elle ne prétend pas savoir à la place des parents ni mieux qu'eux, elle veut les aider à réfléchir, à travers son expérience de psychanalyste, de femme et de mère, à prendre position sans trancher avec la vérité. Elle les engage à dire le vrai qui concerne l'enfant en cherchant les mots justes pour eux et pour lui. Elle dédramatise et elle rappelle des choses très simples, mais qui il y a 25 ans, n'allaient pas de soi : les humains ont besoin de parler de ce qui les concerne, les enfants cherchent du sens à tout ce qui les entourent et ils sont intelligents dès leur naissance. Il n'y a pas d'âge pour parler vrai. Éduquer, c'est rendre autonome (...). Elle invite les parents à se responsabiliser plutôt qu'à se culpabiliser, ce qui leur permettra d'en faire autant pour leurs enfants (...). Il s'agit d'un pensée complexe où revient sans cesse l'idée que l'enfant doit être périphérique dans la vie de ses parents et non pas au centre. On est loin de l'enfant roi ! ».

En outre, et cela fait écho à mon interrogation plus personnelle que j'évoquais plus haut, à l'opposé de mon éducation, Françoise Dolto sortait les enfants de leur statut social d’enfants, étymologiquement celui qui n’a pas droit à la parole (et je ne connaissais pas cette définition). Radicalement différent donc, de mon parcours personnel où au contraire, je n'avais pas - en tant qu'enfant - mon mot à dire jugé forcément inutile, inintéressant, illégitime et même pas envisageable... eu égard au « respect » du parent, de l'adulte, de l'ancien, de l'autorité... même arbitraire... plus tard du prof, de l'employeur, etc.

Aldo Naouri & Françoise Dolto @ France Info Enfin, vla'ti'pas que j'entends une interview d'Aldo Naouri sur France Info qui explique que selon lui, Dolto a fait une grosse erreur avec son émission radio car ses propos auraient été déformés et détournés vers l'enfantdolâtrie... au profit d'un discours vulgarisé et accessible par tous... !

Quelque part, elle aurait été victime de son succès, « méconnue parce trop connue, sa pensée complexe aurait été déformée à force d'être relayée par certains qui ne l'avaient peut-être pas assez bien comprise ni entendue dans sa subtilité et c'est parfois en son nom qu'on perpétue des habitudes qu'elle aurait récusées avec force ».

Toutes les citations sont extraites du livret du coffret audio, soit dans l'introduction Anthologie radiophonique par Catherine Dolto, pp. 3-6 soit dans l'entretien Françoise Dolto répond à Téléciné, pp. 12-23.

Icône audio Françoise Dolto s'entretient avec Raymond Charette (diffusion 8 octobre 1972) - Les Archives de Radio-Canada

Médecin et psychanalyste, Françoise Dolto s'entretient avec Raymond Charette, l'animateur de Rencontres, qu'elle a reçu chez elle, à Paris, un an après la publication de Psychanalyse et pédiatrie, paru en 1971 aux éditions du Seuil. Avec une capacité de vulgarisation remarquable, elle parle des différences entre religion, spiritualité et morale, et aborde aussi sa conception de l'enfance, de la liberté, du bien et du mal. Selon elle, la psychanalyse a apporté un souffle nouveau à la spiritualité. Elle explique les raisons de l'intérêt des psychanalystes pour la Bible.

Dolto à Radio Canada en oct. 1972

Icône main Liste des œuvres de Françoise Dolto

Icône main Association Archives et Documentation Françoise Dolto ayant pour but de diffuser, faire connaître, protéger l’œuvre de Françoise Dolto.

Icône audio France culture, Les Racines du ciel, Le monde sacré de l'enfant (di. 10 nov. 2013, 9h10) avec Sevim Riedinger, psychologue clinicienne et psychothérapeute depuis 20 ans, chargée de cours à la faculté de médecine de Créteil. Le monde secret de l’enfant est son premier ouvrage chez Carnets nord.