Mon premier rapport à ce film, je l'avoue, est assez négatif et tout emprunt d'a priori. Vierge de toute critique extérieure, ma première réaction - à la lecture du synopsis - me fait lâcher dans un soupir : « mais qu'est-ce que ce gros navet encore ? ». L'affiche, honnêtement venait corroborer ces premières impressions tout à fait subjectives et irréfléchies : un énième film sur la jeunesse dans le genre truc d'ados pour ados attardés. Camille redouble

Deuxième rapport à ce film : j'en parle avec une collègue du boulot, qui forte de sa formation à Sc. Po. et en école de journalisme, de sa fonction « webmaster éditorial », et de sa reprise d'études en master histoire immigration/histoire cinéma - franco-allemand... bref, une tête, non ? hé bah, elle, l'intello, me dit que c'est génial. Ouarf. J'en ai suffisamment entendu, cela m'intrigue mais le temps passe.

Troisième rapport à ce film qui a raison de moi : la semaine promotion du ciné avec Télérama ce qui permet de revoir un film sélectionné ! Alors, là, je m'dis que trop c'est trop, que je ne dois pas rater l'occase et c'est comme ça que je vais voir Camille redouble à l'Alcazar.

Camille, elle a déjà un certain âge (dans les 53 balais mais bon, y a comme un mystère là car si son mec la plaque 25 ans après qu'elle ait eu un gosse à 16 ans... ça lui fait 41 ans... m'enfin, c'est bien connu, j'suis nulle en calcul mental !) - d'ailleurs, c'est bizarre car pour moi, ayant eu justement une de mes meilleures amies de lycée s'appelant Camille, je ne peux concevoir d'associer ce prénom-là à cet âge-là ! - Camille donc, elle a déjà une fille de 25 ans et un mec, le père, qui la quitte pour une autre. Elle erre chez elle, dans la rue, dans son boulot, dans sa tête, dans sa vie. Elle erre, désespère et noie sa colère et son chagrin dans l'alcool... jusqu'à un 31 décembre, minuit, au comble de la fête, au comble du bonheur simulé, au comble de l'hypocrisie, un silence, une pause, une bulle (de trop), un potentiel renouveau s'immortalisent dans un beau coma éthylique qui l'expulse de sa propre vie et la renvoie à ses 16 ans.

Camille redouble
Et la voilà plongée à nouveau dans le monde de son adolescence, avec ses copines de l'époque, ses parents d'alors, en plein milieu des années 1980. Elle a soudainement le pouvoir de changer le cours de sa vie déjà passée mais qui reste à venir, de ne pas retomber dans les mêmes pièges, d'aller vers d'autres horizons... Connaissant son futur, elle a le pouvoir d'interférer sur son passé.

Camille redouble Après un superbe générique, je suis déjà très touchée par cette femme amochée. C'est la réalisatrice elle-même qui joue ce rôle. Elle est formidable et joue sans aucun effet spéciaux. Dans ce corps bien peu adolescent, évidemment source de burlesque, autant dire qu'elle porte la jeunesse autrement. C'est un film émouvant et drôle. La réalisatrice a gardé les rêves de son époque, d'où une certaine exaltation en offrant la possibilité de refaire sa vie, en se posant des questions, en parlant de choses graves et tristes avec légèreté, humour et sensibilité, en refaisant éventuellement les mêmes conneries... Mais il rappelle surtout le degré supérieur de conscience de Camille : elle sait tout des vingt-cinq années suivantes, qui va se marier, tomber malade, mourir... Se recueillir ou agir, l'héroïne hésite.

Camille redouble
Ainsi, par exemple, elle s'empresse d'enregistrer la voix de sa mère, l'autre personnage d'une présence physique incroyable (Yolande Moreau) et dont elle sait la mort imminente, pour en garder, cette fois, la trace.

En amour et à la lumière de ce qu'elle sait déjà avoir vécu, elle cherche alors, non seulement à résister au fameux coup de foudre lors de sa rencontre avec son futur mari et futur-ex, mais à faire payer à l'innocent d'alors sa trahison future. Camille redouble

A vrai dire, le charme irrésistible et ultime du film est de retrouver l'essence de ses années lycée sans en subir les contraintes du présent, de proposer un bilan existentiel sous la forme d’une ballade sentimentale restituant le parfum d’une époque. La réalisatrice assume jusqu'au bout l'idéalisation du passé. Il y a comme une magie dans les retrouvailles avec les parents, les copines, la chambre d'ado tapissée de photos d'acteurs, les fringues, le vélo, le walkman... mais aussi les garçons, les profs. Camille redouble Mais pour autant, il offre aussi une version « propre », « claire », éloignée, distanciée du présent indéchiffrable vécu par les ados. C'est bien une comédie ravageuse entièrement fondée sur le décalage entre l’ordinaire d’une vie d’ado et l’extraordinaire de la perception qu’en a cette quadra magiquement téléportée dans son passé.

Conclusion : au Masque (23 sept. 2012), ils sont unanimes : « Le meilleur film français de l'année, il hisse la Comédie française à un niveau extraordinaire. C'est un film inclassable, une comédie mais avec beaucoup d'émotion, très touchant et très intelligent, un voyage dans le temps... »
Bref, ce film nous parle à tous parce que son objet est universel. Il fait preuve de pétillance dans sa mise en scène et maintient un état de grâce jusqu'au bout. Derrière la comédie nostalgique, il est possible de retrouver la liberté adolescente et de faire revivre le passé. On pleure et on rit ; on rit et on pleure.

Camille redouble de Noémie Lvovsky avec Noémie Lvovsky... Un très beau casting : Samir Guesmi, Yolande Moreau, Michel Vuilllermoz, Denis Podalydès, les interventions de Mathieu Amalric et de Jean-Pierre Leaud...

Crédits photos : © Gaumont Distribution.