Les avis sont assez partagés sur ce film et je me demande s'il n'est pas presque plus intéressant de lire l'ensemble des critiques que de voir le film. En effet, dans cette débauche d'expressions culinaires, les critiques semblent autant si ce n'est plus, s'amuser à relever le défi critique en relevant celui de l’exercice stylistique !

D'un côté, il y a ceux qui trouvent le film appétissant (tout le monde fait d'ailleurs référence au Festin de Babette (Gabriel Axel, 1987)), savoureux, goûteux, à déguster sans modération, en gourmet, bref, un vrai régal qui « met l’eau à la bouche au point de faire de cette chronique une expérience sensuelle presque érotique » (20 Minutes). Et puis les autres qui ne s'en laissent pas compter par les recettes alléchantes et les jolis ingrédients de comédie et pour qui le film manque de piquant voire reste fade avec « une fin assez insipide, un dessert indigne du plat de résistance, comme un beau soufflé qui se dégonfle, et qui s'avère sans saveur » (Écran large).

Les saveurs du palais (affiche)

Les Saveurs du palais, de Christian Vincent, librement inspiré de la vie de Danièle Mazet-Delpeuch, cuisinière privée à l’Élysée de 1988 à 1990 sous François Mitterrand et puis, globetrotteuse du goût, "cantinière" sur la base scientifique Albert-Faure, en Antarctique.

Hé bien pour moi, rien de tranché mais un entre-deux que ce film globalement attachant et frustrant.

Tout d'abord, c'est un film qui se veut résolument une ode à l’émotion culinaire mais qui me laisse personnellement relativement insensible si ce n'est à la technicité des recettes énoncées.

Ensuite, c'est une histoire qui n'a rien de politique et qui, de fait, se passe de toutes actualité ; c'est reposant mais pas suffisant. Au travers d'un récit documenté sur les « cuisines » de la République : privilèges du pouvoir, luttes intestines entre la cuisine privée du président où elle parvient à imposer son style popote, et la brigade officielle c'est-à-dire la cuisine centrale chargée du tout-venant des visiteurs VIP où c'est l'agitation en tous sens et où règne le machisme des officiers, rigidités protocolaires, complications administratives, de l’administration, contraintes du régime présidentiel… le film offre quelques pistes de réflexion, d'une part, sur l’isolement du pouvoir mais la relation complexe, par exemple, qui unit Hortense au Président aurait mérité d’être explorée (je passe sur le rôle d'un homme de gauche tenu par ce jeune premier de droite d'Ormesson à près de 87 ans...). Et, d'autre part, sur la tentation machiste quand l’originalité de la cuisinière finit par l’emporter sur la routine des cuisiniers (l'Huma) mais la mise à plat des jalousies et tracasseries administratives ourdies contre une Périgourdine osant brusquer le protocole ne nous fait pas suffisamment découvrir les arcanes du pouvoir et la fiction peine à dépasser les jalousies de couloirs.

Pilier de l'histoire, Hortense apparaît d'abord comme une artiste des fourneaux autoritaire et perfectionniste, une femme déterminée, à la poigne de fer, au caractère bien trempé et ne se prêtant guère aux docilités d'usage. Peu à peu, l'actrice, Catherine Frot, succulente et brillante, à la fois simple et raffinée, sachant incarner aussi bien les bourgeoises que les femmes du peuple, donne à ce rôle complexe un peu du cliché de la cuisinière bonhomme au large sourire, certes pas toujours sympathique mais habitée par une passion pour la cuisine du terroir qui lui donne authenticité et cocasserie. Par ailleurs, la comédienne sait aussi exprimer la mélancolie de son personnage, qui voit peu à peu la disparition d'une époque où la culture de la cuisine s'ancrait aussi dans les mots (que le film met en bouche avec bonheur) et la venue d'une autre qui parle coût financier, coût calorique...

C'est aussi et surtout une femme dont on devine le parcours douloureux mais qui ne vit que pour sa cuisine au point qu'on ne saura rien de sa vie privée si ce n'est qu'elle a une fille restée à la ferme périgourdine qui peut aller lui cueillir des truffes au pied levé. On comprend que l'héroïne a choisi l’affectation la plus lointaine en Antarctique qui lui était offerte, dans un univers notoirement masculin de surcroît, pour mieux rompre avec son passé et ainsi tourner la page mais c'est un peu tirer sur la corde sensible. La souffrance du personnage ne nous est pas vraiment rendue sensible et reste, selon moi, une piste narrative inexploitée. D'ailleurs, les allers-retours temporels Elysée-Antartique qui apporteraient des informations sur le personnage et créeraient une sorte de contrepoint à la facette parisienne, sont en fait symptomatiques de l’échec du film en tant que portrait (Critikat). En fait, les flashbacks s'avèrent plutôt inutiles et pesants et donnent au scénario un résultat bancal où l'on ne voudrait s'attacher qu'à la partie Élysée.

En conclusion, je dirais que le film a le mérite de s'intéresser à la seule (?) période historique où une femme a tenu ce poste, qu'il questionne cette quête si singulière qui consiste à se nourrir du bonheur gustatif des autres, qu'il réussit à faire primer l'art de vivre à la française sur le génie culinaire, qu'il comporte de bons ingrédients de comédie mais que la narration reste un peu réac' à montrer avec nostalgie, voire une "démagogie badine" (Télérama) la disparition du bon terroir français.