Tout récemment, je fus interloquée, interpellée, choquée par une pub alors que j’effectuais mon immuable trajet quotidien pour aller au taf. Sortie de la gare de St-Lazare, devenue le temple de la consommation depuis sa rénovation, je gravis les escaliers pour rejoindre la ligne 14. Là, dans cet immense hall au sol glissant, imaginé et réalisé certainement par des architectes n'ayant jamais eu à se taper les transports en commun, trône toujours en hauteur un encart-pub immense, totalitaire... Cela m'évoque l'ambiance de certaines BD de Schuitten-Peters qui enjoint à observer notre vie, notre monde, notre société de haut, à part, de l'extérieur... un monde de petits robots aux ordres du tableau en exergue... Et là, comme chaque matin, j'étreins mes trois canards matinaux, j'ai le casque sur les oreilles et j'éteins Radio Nova que je ne capte plus, je marche à vive allure, défrayant parfois le flux commun et pestant plus ou moins selon mon humeur... Et là donc, je lève la tête et vois cet icône de la beauté, masculine et fatale, offrant au monde actif et mobile, outre le symbole mercantile, celui du pouvoir évocateur voire protecteur...

Ours Beau Mâle

Ce qui me choque de prime abord, c'est pas tant la pub, une pub pour homme avec un soit disant bel étalon faisant craquer, paraît-il, hommes et femmes mais surtout leur porte-monnaie... Non, c'est la posture de cet homme-objet (J'ai pu lire quelque part sur le net à propos de cette pub : « l'homme n'est-il pas une femme comme les autres ? »... hum hum intéressant comme concept d'égalité par le bas !) sur une peau d'ours polaire... Grrr, mais que vient foutre encore ici ce pauvre Nanouk ?

Ah, mais voyons, d'où je sors moi, c'est Le Mâle, le célèbre parfum de Jean-Paul Gaultier, le styliste révolutionnairement moderne... ça m'aurait étonnée. Le Mâle se refait une jeunesse et le désormais Beau Mâle se veut, dit-on, plus « frais » et plus « torride » d'où, pour illustrer au mieux ce paradoxe, l'idée d'associer à cet éphèbe au corps huilé et regard de braise, la figure de l'ours polaire. La nouvelle fragrance mythique revisitée « fraîche et puissante » est résolument destinée à nous faire fondre, d'ailleurs la main du bellâtre fait fondre la glace car ce mec est trop hot !

© Jean Paul Gaultier.com

Au travers de cet Apollon incarné par le Beau Mâle, l'homme-objet conserve son image de bombe anatomique et s'impose comme un homme à la beauté fatale, façon pour JPG de briser « les codes qui n'ont plus de sens aujourd'hui ». Ah bon, tiens ? Pour vendre cette nouvelle interprétation olfactive, quoi de mieux pour la nouvelle campagne Gaultier, réalisée par le photographe Sølve Sundsbø, que montrer le mannequin Kaylan Falgoust entièrement nu sur une peau synthétique d'ours blanc. Voilà, il suffit de rassurer les amoureux des animaux en insistant sur le fait que la bête n'est pas réelle (et puis quoi encore !!). C'est ti pas beau tout ça ?

Ah, enfin quelqu'un qui s'offusque, les Robin des Bois, association de protection de l'Homme et de l'environnement, dans leur communiqué : Le « Beau Mâle », le parfum qui tue. En rappelant les menaces qui pèsent sur cet animal magique très médiatisé justement par le fait qu'il est une des premières victimes du réchauffement climatique (d'où le raccourci fabuleux des plus émérites du marketing subliminal avec leur slogan « fraîcheur torride »), les Robins des Bois analysent l'usage de son image à des fins publicitaires véhiculant « la croyance dans les vertus du charme et de la virilité des parures animales » et faisant de JPG et tous les distributeurs de ce parfum les promoteurs de la chasse et du commerce international d'animaux menacés d'extinction. Bah oui mais la maison Gaultier explique que cette tête représente l’ours en peluche (ah le nounours et l'enfant enfouis en chacun de nous !), un des codes de la marque depuis longtemps (comme Coca-Cola, pas très original). Elle se dit « extrêmement concernée par la vive émotion suscitée par cette campagne » et qu’elle « ne prend pas le sujet à la légère ». Seulement d’après la luxueuse enseigne, « c’est à prendre au 1000e degré, comme souvent avec Gaultier ». Et toc.

Je ne saurais que trop vous renvoyer vers La Meute des Chiennes de garde contre la publicité sexiste dont voici quelques extraits du Manifeste NON à la pub sexiste ! à propos des hommes eux-aussi utilisés dans des pubs :

« La symétrie est trompeuse, car la nudité masculine n’a pas le même sens d’invite à la consommation ; si l’homme nu est le plus souvent jeune et beau comme une statue grecque, les publicités représentant des hommes - comme des machos obsédés par leur puissance, des hommes-objets ou des " papas-poules " - illustrent presque toujours des clichés sexistes : l’homme protecteur, actif, dominateur. Quant à la situation inversée, l’homme dominé par une géante ou par une mégère, elle détourne le public du problème de la violence réelle, qui est à 99 % masculine ».

« Les publicitaires utilisent hors de propos l'image du corps (...). Ils l'appliquent à n'importe quels produits (yaourts, voitures, etc. et parfum !). Sous couvert de « création », ils nous imposent leurs normes et leurs fantasmes. Les publicitaires renforcent les clichés sexistes... ».

Icon main Autres billets : Ursus medium, un nouveau concept de mass-média ; colloque "L'ours polaire, de la banquise à la une des médias".