A la fin du spectacle ''L'Art de rire'', je demande à Bertrand ce que veut dire exactement « subversion », « être subversif » ? Difficile à exprimer, à traduire... et c'est un des mots dont je cherche régulièrement la définition... Et lui de me répondre à brûle pour point « C'est ce qui remet en cause la société ».

Selon Wikipedia, la subversion (latin subvertere : renverser) désigne un processus par lequel les valeurs et principes d'un système en place, sont contredits ou renversés.

Signe de Vénus Ahhh, une « vieille », une vraie, pas une « personne âgée », pas une « senior », une qui, justement, « ne maquille pas les mots car c'est maquiller la pensée ; or, ce sont les mots qui véhiculent la pensée ! ». Une comme je n'en connais pas... Elle a 86 ans et se fait tatouer le poignet, encouragée par ses petites filles, avec le signe de Vénus, le signe des femmes. « C'est les voyous qui se font tatouer » ! « Je mourrai comme ça, la canaille, et bien j'en suis » !

Therese Clerc Mariée à 20 ans, mère de quatre enfants, Thérèse Clerc divorce en 1969 car « le prince charmant n’était ni prince, ni charmant », « ennuyeux de jour comme de nuit »... C'est alors que commence une vie de militante féministe active : elle découvre les joies de l’homosexualité et de la libération féminine, elle participe au MLF, milite à la CGT et au PSU et crée un groupe de contestation féministe au sein de l’Église. En 1997, elle commence à réfléchir à un projet de maison de retraite autogérée pour les femmes, la Maison des Babayagas, à Montreuil...

Le droit des femmes, le féminisme, la militance

« Ces petits mouvements de gauche, ça a été ma véritable université. Notamment le Mouvement de la paix, qui existe toujours. Une autre école, une deuxième université, celle du collectif, de la militance. Vous êtes en collectif ! La vie collective, c'est ce qui vous rend intelligent. La misère est collective et donc politique.

« C'est la subversion qu'il faut apprendre aux enfants plutôt que la dentition de la taupe !
C'est la subversion qui fait que l'Humanité change, qui fait changer le monde, grâce à ce qui déborde. Les grands changeurs de l'Histoire, c'était des gens qui étaient un peu, même pas hors-norme, mais des gens qui ne voulaient plus de l'injustice. Et ils étaient dits subversifs et par conséquent des marginaux. Et ces marginaux-là, ils avaient souvent le sens du sacré.

Sa 1e fois dans la rue ?
« Une des premières grandes manifs pour la loi sur l'avortement. On était toutes comme des folles pour réclamer la loi Veil. Il y avait plein de vieilles sur le trottoir qui disaient « Allez-y les filles, allez-y. Moi, j'ai avorté 6 fois, allez-y ! ». Il y avait un bonheur, une joie, une insolence, il fallait gagner. Cette loi qui nous avait quand-même crucifier pour beaucoup d'entre nous. L'avortement clandestin, c'était la cause de mortalité la plus importante entre 18 et 50 ans ! Le nombre de filles qui mourraient en pleine jeunesse parce que ça s'était mal passé. Il faut savoir ce qu'était un avortement, c'est pas drôle un avortement ! Ici, par exemple, sur la table, on a fait des avortements. Les médecins nous ont appris à faire des avortements. Aujourd'hui, on a la possibilité de réguler la natalité, c'est probablement la plus grande invention du XXe siècle.

Therese Clerc

A 42 ans, presqu'une vieille en 1968

« Qu'est-ce qui fait qu'elle ouvre ses petites ailes à l'infini pour découvrir un champ de liberté si beau, une telle puissance, un tel allant, une telle énergie qui ne l'ont jamais quittée ? Qu'est-ce qui provoque la métamorphose d'une femme qui faisait ses cornichons et ses confitures en élevant ses 4 enfants dont elle ne s'est jamais lassée et qui l'ont comblée mais dans un mariage médiocre et enfermant ?

Moi, j'aime beaucoup le sexe qui pense et tu vois, je pense à travers mon cul.

« Mai 68, ça a été l'insurrection, la résurrection, le, bonheur, l'insolence, vouloir la vie autrement, changer le monde ! C'était comme une écluse qui s'ouvrait. Les femmes se sont mises à parler. Il y a eu alors une très grande vague d'homosexualité féminine car les femmes se libéraient et elles se libéraient en ignorant le coït et le sexe des hommes.
Un moment si magnifique, avec les copines, se passer les cheveux au henné, enfiler des belles robes et on parlait du plaisir, mais du plaisir dans le détail, et bien entendu avec des grands rires, des histoires salaces, des choses énormes, des gros mots... interdits dans notre éducation. Mais la grossièreté, ça faisait partie du plaisir, on osait, on se donnait le droit de dire et alors le dire évidemment avec des mots orduriers. C'est quoi des gros mots ? Bah on parlait de son cul, on disait « ah putain », on jurait « mais non de dieu », alors que c'était absolument, presqu'un pêché ! Et alors on émaillait nos récits de « il me fait chier », « il m'emmerde »...
Petit à petit, elles s'apercevaient qu'elles parlaient encore beaucoup des hommes. Avec le temps, avec l'âge et le grand âge, elle a compris que les femmes souffraient du syndrome de la paire de couille qui leur bouche les yeux et les oreilles. L'enjeu pour elles, c'est l'homme. Le jour où elle sont guéries du syndrome de la paire de couille dans la tête, elles commencent à émerger alors à leur propre identité. Et ce jour-là est aussi un moment parfait.

Il n'y a rien de plus beau dans la vie d'un être humain que d'accéder à la liberté qu'il s'offre.

« Élevée dans un catholicisme étroit, dogmatique, avec plein de belles cérémonies... Quand elle s'est mariée, elle a changé de paroisse pour rentrer chez les Fils de la charité qui, en même temps qu'ils tenaient l'église, étaient des prêtres ouvriers. Elle a donc appris Marx à l'église. Elle est devenue une femme de gauche à l'église, ce qui est assez rare. Et elle avoue que l’Évangile d'une main et le Capital de l'autre, ça peut faire assez bon ménage.

« Elle a changé profondément sa vie. Et à un moment, les Apôtres, dans les Écritures, après la résurrection, disent "Ils ne l'ont point reconnue". Hé bien elle, elle est une ressuscitée de la vie conjugale. Chacun sait que le mariage est une mauvaise action et donc elle, elle a quitté la mauvaise action pour rentrer dans la bonne action qui est celle du célibat... du célibat très habité, c'est vrai...

Therese Clerc

« En 68, nous avons toutes essayé un peu d'homosexualité même si ce n'était pas notre choix sexuel de naissance mais nous avons pensé que, pour être radicales, il fallait quitter l'homme jusque dans la sexualité. Et, effectivement, l'homosexualité, pour nous lesbiennes, est devenue politique. Alors ça fait rire les petites jeunes aujourd'hui, qui disent "Mais non, c'est de l'ordre du désir, du plaisir". Oui, ça, c'est en plus. Mais quitter les mecs, jusque dans l'intime, c'est profondément politique !

Et le Mariage pour tous ?

« Dans l’Évangile, dans le Nouveau testament, il n'y a pas l'ombre d'une virgule sur la sexualité. On trouve sur l'amour mais l'amour, c'est une définition extrêmement vaste. Le mariage pour tous, elle est pour à deux mains, à deux pieds, à tout son corps. La loi est faite pour tous, la démocratie c'est l'égalité devant la loi !

L'art de vieillir

« On est vieux, on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a. Vieillir vieux c'est bien, vieillir bien c'est mieux. La vieillesse n'est pas un naufrage. La vieillesse n'est pas une pathologie. C'est le plus bel âge de la vie, celui de la pleine liberté. La vieillesse est un moment parfait, où la capacité de bonheur ne peut pas être plus remplie. On est extrêmement bienveillant en vieillissant. On est extrêmement libre. Les hommes sont moins gâtés ; la vieillesse est moins bénéfique, moins bienveillante aux hommes ».

Maison des Babayagas « Une maison pour les vieilles, une maison autogérée, citoyenne, solidaire et écologique parce qu'il y a peu de solutions quand on est vieux... vieilles car il faut savoir que dans les pays industriels, les vieux sont les vieilles, et qu'à 80 ans, il y a 7 fois plus de femmes que d'hommes. Les solutions proposées aujourd'hui aux vieilles sont la maison de retraite, solution pas très très séduisante ou alors rester chez soi à tout prix...
Un spa, une université des savoirs des vieux, 150 m² destinés à l'intelligence, au corps, à la recherche, à une nouvelle anthropologie, car le but de la Maison des Babayagas est de changer le regard des vieux sur eux-mêmes, le regard des vieux sur la société et le regard de la société sur les vieux. On est beaucoup dans la force de proposition et dans la force de réparation d'une société qui est en train de se déliter.

Pour conclure

Il y a trois verbes magnifiques dans la vie : rêver, oser et créer. * Rêver, parce que rêver c'est ce qui concourt à l'utopie et que l'utopie est la fille du désir. Et l'utopie, les désirs, les rêves sont effectivement les objets du désir. * Oser, on se met tous ensemble et on ose quelque chose qu'on n'avait jamais osé. * Créer, créer sa vie, créer la société, créer la vie des autres. Et ça, c'est lumineux et cela lui semble le nec plus ultra de toute une vie.

Therese Clerc

- - ---

Icône audio France Inter - Eclectik par Rébecca Manzoni : Thérèse Clerc - « J'ai bien vécu, j'aurais bien mouru ! », La minute de solitude de Thérèse Clerc - 05/05/2013.
Icône audio France Inter - Tête à tête par Agathe André : Sa liberté de parole sur le plaisir - 8/02/2013.
Icône audio France Culture - L'Atelier intérieur - Numéro 20. Les années (59 minutes) - 07/01/2013.
Icône vidéo ''Thérèse Clerc, le troisième âge du féminisme'' : portrait en diaporama de la féministe Thérèse Clerc, fondatrice de la maison des femmes de Montreuil et de la maison de retraite pour militantes, « La maison des babayagas ». Réalisé pour l'Institut Français de Presse en 2012 par Julie Chouteau et Séverin Graveleau.
Icône vidéo ''Insoumise à nu'' : portrait en son et images de Thérèse Clerc, citoyenne solidaire et féministe de la première heure, Élisabeth Schneider. « La vieillesse, ce temps qui a magnifié ».
"Insoumise à nu" d'E. Schneider
Icône vidéo ''Rêver, oser, créer''. Entretien avec Laureline Amanieux © 2010. Réalisation Lucas Chiari et Soffian Desrayaux. Photos : © Thérèse Clerc. Générique : © David Fenech.
Icon zik France Culture - Sur les docks - Portraits de femmes (3/5) - La maison des Babayagas (Rediffusion de l’émission du 23 avril 2007) - 04/03/2009.
Icône main La maison des Babayagas
Icône vidéo "Le but des Babayagas, c’est de changer le regard des vieux sur eux-mêmes... sur la société... et le regard de la société sur les vieux". Entretien avec Laureline Amanieux © 2010. Réalisation Lucas Chiari et Soffian Desrayaux. Photos : © Thérèse Clerc. Générique : © David Fenech.
Icône main Danielle Michel-Chich, Thérèse Clerc, Antigone aux cheveux blancs, Éditions des Femmes - Antoinette Fouque, 2007.
Icône main Au cinéma ou en DVD : « ''Les Invisibles'' », le film-documentaire de Sébastien Lifshitz avec Thérèse Clerc, qui parle avec beaucoup d'humour et de finesse du délicat sujet des couples homosexuels, femmes ou hommes, nés entre les deux guerres mondiales.
Icône audio Écouter une chanson écrite et chantée par Colette Renard, Les nuits d'une Demoiselle, 1963, dans une version "non épurée"... :) --> de la 24e minute à la 27e minute... à écouter ABSOLUMENT !!!
Icône main Autre billet : ♂ 8 mars, journée internationale des droits des femmes